L'amorçage raisonné

- Catégories : Pêche et partage

Plaidoyer pour un amorçage raisonné

La quête du poisson dans laquelle nous sommes tous lancés avec plus ou moins d’implication, la carpe, est sujette à de nombreuses discussions, théories. Elle a fait et fera pendant longtemps encore couler beaucoup d’encre tant ceux que j’appelle les points sensibles sont nombreux : montages, esches, présentations, matériel adéquat, types de spots, facteurs extérieurs et condition météorologique, etc.

Parmi ces points, il en est un primordial qui revient régulièrement dans les échanges : l’amorçage.

En effet, une fois notre spot de pêche défini, il va être le levier principal pour déclencher la touche. Or, un amorçage raté et c’est toute une session qui s’en retrouve gâchée.

Depuis plusieurs décennies maintenant et l’avènement des techniques dites modernes de la pêche de la carpe, de nombreuses théories ont vu le jour, pour le meilleur mais aussi, il faut bien le reconnaitre, le pire…

Cet article m’a été inspiré lorsque j’ai comparé mon expérience personnelle à ces théories maintenant largement admises. La rédaction de cet article m’a semblé une évidence après plusieurs échanges avec des pêcheurs possédant cette même expérience, loin des clichés et des stéréotypes trop souvent rencontrés.

Alors plongez avec moi dans ce domaine si important qu’est l’amorçage, reprenons ensembles les bases de la technique et voyons sa meilleure adaptation à la vie de nos cyprins favoris.

Des bleues, des rouges, des vertes… Et des pas mures ?

Définition première de l’amorçage

Pour parler d’amorçage, revenons tout d’abord à la base et à la définition du terme. Amorcer, c’est quoi au juste ?

Le terme d’amorçage vient du verbe amorcer, or « amorcer » en français a pour signification de démarrer, lancer une action, un mouvement. Ainsi, amorcer sa ligne n’a pour autre but que de lancer / démarrer sa pêche avec pour finalité la prise de poissons. Simple.

Et il est vrai qu’espérer prendre un poisson dans une large étendue d’eau avec seulement son esche, sans autre outil pour attirer la bête à écailles, cela relève du petit exploit. Même si cet exploit est possible, voire tout à fait normal au final, mais ça j’y reviendrais dans la dernière partie de l’article ; )

Miroir mon beau miroir, dis moi si le poisson est là ?

L’amorçage par extension piscicole, c’est donc ça, permettre d’attirer les poissons sur son coup, sa ligne, avec pour objectif de leurrer ces derniers. L’amorce devenant de fait le ou les produits utilisés pour pratiquer l’amorçage.

Et pour arriver à ce résultat, les possibilités sont quasi infinies de nos jours : farines, pellets, liquides divers et variés, bouillettes bien entendu, graines, etc etc.

Et c’est à partir de là que toutes les dissertations commencent : quelle quantité d’amorce ? Quels types d’amorces ? Quelle fréquence d’amorçage ? Quels facteurs sont les plus efficaces pour attirer les poissons ? Comment les mettre en appétit ? […]

Depuis plusieurs années, un certain consensus est admis pour la pêche de la carpe et c’est bien naturellement celui que l’on retrouve le plus dans la pratique (pour ne pas dire les articles et vidéos de nos réseaux sociaux préférés).

Ce consensus s’axe autour de 3 points principaux :

- La diffusion des attractants de l’amorce = il faut diffuser un maximum

- La quantité d’amorce = plus les carpes et les poissons blancs / silures sont présents, plus il faut amorcer

- Amorcer son spot à l’avance (le fameux ALT, « amorçage long terme ») est souvent gage de réussite, notamment dans les grands espaces (lacs et rivières / fleuve).

Et c’est ainsi que depuis le début des années 2010 l’amorçage particulaire (= à base de fines particules) en bonne quantité et le plus précoce possible s’est retrouvé propulsé sur le devant de la scène.

Je vais être tout à fait franc, honnête et direct : je ne l’ai pourtant jamais pratiqué !

Car c’est là que tout ma réflexion personnelle commence basée sur mes 25 années d’expérience. Il n’est pas possible de résumer la pêche de la carpe à ce simple consensus.

D’ailleurs, l’émergence des pêches rapides et à rôder a commencé à faire bouger les lignes, ce n’est pas pour rien.

Une canne, un lac.

J’ai souvent tendance à comparer les différents modes de pêche, pour prendre le recul nécessaire sur notre pratique. Il n’est pas rare de voir de « bonnes idées » apparaitre chez les pêcheurs au coup, au feeder, à l’anglaise voire les pêcheurs de carnassiers ! Ou réciproquement, de mauvaises. Du moins, pas du tout adaptable à notre approche pour la carpe.

Pour les trois techniques citées et qui se rapprochent le plus de notre pratique, je distingue immédiatement un point commun au sujet de l’amorçage : le consensus ! Ces trois techniques sont pratiquées dans la très grande majorité des cas avec un même type d’amorçage : farines et grosse quantité pour marquer le coup et attirer la blanchaille. Avec depuis quelques années l’avènement là encore de la prime à la diffusion et l’arrivée des liquides « divers et variés ».

Je vous invite à vous rendre à des concours de pêche au coup pour voir la préparation des postes : des kilos et des kilos d’amorce (farine) déversés au fond de l’eau pour attirer les bancs de gardons, brêmes et autres ablettes. Les carpes n’y restant pas forcément insensibles également. Sous conditions. Indice numéro 1…

Et comme j’aime bien les contre-pieds, je regarde également du côté de la pêche des carnassiers et/ou truite-mouche. Sauf qu’ici le constat est on ne peut plus rapide et simple : sus à l’amorçage !

Avez-vous déjà vu un pêcheur au leurre amorcer une zone, attendre qu’un brochet arrive sur le poste avant de lancer son poisson nageur ou autre shad pour ferrer la bête ?

Cette question valant aussi pour le pêcheur de silure au vif…

Bien entendu la réponse est non, et pour cause. L’approche est différente (vraiment ?) et les deux techniques sans comparaison possible (vraiment ?). Indice numéro 2.

Pas besoin d’amorcer avec un leurre !

Comprendre son poisson pour adapter son amorçage ?

J’abandonne volontairement cette première partie sur une note de suspens pour aborder ce qui me semble être un point crucial pour comprendre le besoin d’amorçage : le poisson.

Si vous avez su lire entre les lignes, vous avez compris que chaque poisson et chaque approche aura son amorçage spécifique. La clé résiderait donc dans la compréhension du poisson plus que dans une approche théorisée et stéréotypée.

Alors intéressons-nous à la carpe et son comportement.

Cyprinus carpio est un poisson originaire d’Asie, introduit en Europe dès le 9ème siècle par les Romain dans un but purement alimentaire pour les humains de l’époque. Sa résistance, sa croissance rapide et sa forte propension à se reproduire en ont fait un poisson d’élevage rêvé.

Lâchée en pleine nature, elle s’est très vite adaptée à nos environnements pour coloniser l’ensemble de nos eaux.

La carpe est un poisson dit omnivore mais la réalité de la bête et son incapacité à digérer les glucides en font en réalité un poisson à tendance carnivore.

Cyprinus Carpio

Dans nos eaux occidentales, passés les trois ou quatre kilogrammes, la carpe se retrouve sans prédateur naturel (à part l’Homme…) et peut commencer une vie paisible essentiellement au fond des lacs / étangs et rivières.

Sa vie va se retrouver rythmée entre pauses sur des zones de conforts, les « tenues », et longues chevauchées dans le but de s’alimenter sur les zones « d’alimentation ».

Depuis quelques mois on voit fleurir de petites vidéos infographiques montrant le déplacement de spécimens dans des lacs / étangs. Ces carpes, pucées, sont suivi par un système GPS et les résultats sont fascinants ! On y voit les poissons se déplacer sur des parcours quasi identiques, jour après jour, et stationner régulièrement sur leurs tenues. Les trajets varient très peu sur les périodes étudiées (quelques semaines) et surtout, les zones non visitées [ndla : les fameux no fish land] sont nombreuses. Pour ne pas dire la majorité de la surface du lac.

« Ce n’est pas parce que ça saute que ça mord ! »

Je dois dire que l’apparition de ces vidéos a été pour moi une confirmation, pour ne pas dire une petite victoire. Pêcheur de rivière depuis plus de vingt années, j’ai mis du temps à comprendre ce principe de tenues et de zones d’alimentation, de passage, de vagabondage, toujours aux mêmes endroits et avec l’expérience je peux ajouter « toujours aux mêmes heures ». La carpe, poisson grégaire par excellence, a un rythme de vie très posé et qui varie très peu au jour le jour.

Pour continuer dans ces constatations, et si je ne me permettrais pas de remettre en cause les travaux de mes prédécesseurs sur l’aspect Pavlovien du poisson, la carpe reste un spécimen difficile à dompter et si l’obliger à passer sur une zone « no fish land » relève presque du miracle, la maintenir sur une zone de passage relève tout autant de la gageure !

En effet, cyprinus carpio reste un poisson de passage, qui vagabonde pour trouver sa nourriture et sauf cas exceptionnel d’une explosion de nourriture naturelle (corbicules, vers de vase…), la faire rester plusieurs dizaines de minutes sur un même spot est très rare. Je vous renvoie aux vidéos subaquatiques qui sont devenues courantes maintenant et où ce phénomène de passage est bien visible. Attention, je ne dis pas que cela est impossible, je dis juste qu’il faut un certain nombre de conditions réunies.

La carpe fouille pour s’alimenter

Enfin, au-delà de cet aspect routinier, la carpe reste un poisson opportuniste qui saura saisir les occasions pour se nourrir. Dans mes quelques expériences de dérèglement des « passages », il y a cette notion d’opportunité : crues, orages violents, profusion de nourriture naturelle sur des zones inhabituelles etc.

Ces phénomènes ponctuels qui se traduisaient par de la nourriture facile et en quantité font changer le comportement des carpes du tout au tout. Elles quittent alors les fonds habituels pour les bordures en surface en quête d’insectes ou de vers noyés, ou bien à l’inverse elle plonge d’un haut fond vers une fosse pleine de coquillages etc.

La carpe est un poisson réglé au millimètre mais qui est capable de s’adapter rapidement à des situations nouvelles pour assurer sa survie. Car ne l’oublions pas, comme tout animal, le poisson doit avant toute chose assurer sa survie et celle de l’espèce.

Au pêcheur de s’adapter en retour pour assurer ses prises…

Mise en situation et retour d’expérience : amorcer mieux pour pêcher mieux

Résumons donc les deux premières parties :

- Amorcer, c’est attirer le poisson pour démarrer ses prises, sa pêche

- Un consensus d’amorçage existe pour la pêche de la carpe, mais un doute subsiste sur son bien fondé

- La carpe est un poisson rôdeur et fouilleur qui s’alimente sur des zones définies

- Il est difficile de faire passer une carpe là où elle ne veut pas

- Il est difficile de faire rester une carpe sur une zone d’alimentation

Cibler les zones d’alimentation est primordial

Ce constat, à quelques exceptions près, je l’ai toujours rencontré sur mes pêches, encore plus sur les poissons sauvages de rivières. Mais les petits étangs communaux échappent rarement à la règle. Il m’a depuis largement été confirmé par les moyens « scientifiques » dont nous disposons aujourd’hui.

Alors, la première adaptation de l’amorçage que j’ai faite pour favoriser mes pêches, c’est oublier les ALT et les amorçages massifs. Ces méthodes qui m’avaient souvent apparues fastidieuses, onéreuses et avec des résultats décevants, ne pouvaient plus avoir grâce à mes yeux.

Un poisson de passage passe et s’alimente. Le banc va passer, de toute façon. Que l’on passe quinze jours à préparer un spot et que l’on y déverse des dizaines de kilos d’amorce ne changera rien : le poisson passera !

Au contraire, à déverser ainsi de la nourriture, c’est toute la population piscicole qui va débarquer et massacrer votre coup, les carpes passant souvent leur chemin (sic !).

J’ai souvenir de ma première (et dernière !) tentative d’ALT sur un bief d’une petite rivière. Une zone de passage que je connaissais depuis quelques mois et où je faisais régulièrement un à deux poissons par jour. De dix-huit heures à dix-huit heures trente. C’était le créneau !

J’ai dont entrepris un ALT de dix jours à six heures le matin, pour faire bouger les lignes.

Au onzième jour, les cannes étaient à l’eau. Il était cinq heures tapante. Moins de cinq minutes plus tard je pendais mon premier chevesne… Et jusqu’à tard dans l’après-midi j’ai pendu du chevesne…

Pas une carpe à l’horizon. Pas une…

Voilà comment tuer sa pêche à cause d’un amorçage.

Parfois la nourriture naturelle vient gâcher la fête. A double titre.

Alors que je peux vous raconter comment, sans aucun amorçage, j’ai réussi à toucher plusieurs beaux poissons. Uniquement parce que l’esche était déposée sur la zone d’alimentation au bon moment. Même en fleuve cette approche est possible, ce n’est au fond ni plus ni moins que du stalking.

Au sujet de la quantité d’amorce, j’ai beau pêcher les fleuves et rivières avec des populations de poissons blancs et de silures très importante, je reste très léger et pour cause.

Toujours dans cette même optique des carpes de passage, elles passeront. Si en arrivant le matin je déverse cinq kilos par canne cela ne changera rien. Au contraire, je risque d’éveiller leur méfiance. Pourquoi ? Parce que la carpe est un poisson qui a besoin de chercher, fouiller pour s’alimenter, il est impératif de garder cette idée à l’esprit au moment de se présenter au bord de l’eau. Si vous lui présentez un tas, tel une auge pour du bétail, elle passera son chemin, regardez les vidéos subaquatiques.

Et pour les sceptiques de l’amorçage trop vite dévoré par les indésirables, je réponds oui, mais :

- Moins amorcer = moins attirer les autres poissons

- Si les indésirables passent, un finira fatalement par se piquer sur votre hameçon, vous serez donc très vite informé du besoin de réamorcer !

Car mieux vaut amorcer plusieurs fois en petite quantité pour entretenir le spot qu’une seule fois en grosse quantité pour l’inactiver totalement.

Une bouillette bien placée sans amorçage, bingo !

Une pêche au spot sinon rien !

Vous le comprenez maintenant, à travers toutes ces expériences et analyses, je suis devenu un pêcheur au spot en puissance, je ne jure que par le spot et je change très peu souvent de stratégie.

Cette approche présente pour moi tous les avantages possibles et maximise de très loin les chances de réussite. La clé n’est pas mise sur la préparation de l’amorçage et sa quantité mais bien son placement et sa qualité.

Bien entendu, le travail à effectuer est de notre côté, pêcheurs. Ce n’est pas le poisson qui doit travailler pour nous trouver mais bien l’inverse. Une fois ce dernier ciblé avec ses zones d’alimentation, quelques centaines de grammes d’appâts suffiront à déclencher la touche tant espérée.

Un échosondeur est un gain de temps précieux pour comprendre une zone de pêche et cibler les spots

En outre, voici un petit argumentaire point par point pour finir de vous convaincre :

- Tranquillité : en amorçant moins, on attire moins les autres populations de poissons. Les carpes, plus sereines, s’alimentent plus tranquillement. Une touche d’une brème ou d’un chevesne ? Il suffira d’attendre quelques dizaines de minutes, les blancs passeront leur chemin. Une fois la canne replacée et le spot réamorcé (plus légèrement encore), les carpes pourront venir.

- Economies : Pour quelques cinquante jours de pêche par an, ma consommation de bouillettes n’excède pas les cinq kilogrammes, idem en graine. Ajoutez un peu de farines, pellets et Fro…, le budget amorçage s’allège rapidement pour le plus grand plaisir du porte-monnaie !

- Ecologie : c’est un point trop peu souvent abordé mais qui mérite vraiment d’être évoqué. A une époque où nos eaux souffrent, toute l’amorce déversée est énormément consommatrice d’oxygène et appauvrie l’eau. Pire, elle favorise la pousse d’algues néfastes à la vie aquatique. Amorcer moins participe à la bonne santé des écosystèmes, pensez-y au moment de déverser vos appâts dans l’eau.

- Des résultats à la clé : Partout où je suis passé, j’ai très souvent fait mouche sous les regards parfois envieux de mes voisins. Bien entendu, j’ai aussi pris quelques vestes bien senties, cette approche demandant une bonne connaissance du lieu pêché. Mais une fois la zone maitrisée, elle n’a pas son pareil pour leurrer les carpes, surtout là où elles sont éduquées.

Dispers’O, la solution ultime pour toutes les pêches au spot

Conclusion

Ainsi je termine cet article sur l’utilisation d’un amorçage raisonné pour la pêche de la carpe. A travers cette réflexion sur le terme même d’amorçage, une introspection dans les mœurs de la carpe et mon expérience personnelle de la pêche et de son approche, j’espère que l’écrit vous apportera quelques nouvelles et solides bases pour adapter toujours un peu plus votre stratégie et obtenir des résultats toujours meilleurs.

N'oubliez jamais, la raison n’est pas de succomber à quelques clichés de modes passagères mais bien une réflexion sur l’environnement et ses habitants afin d’arriver à notre finalité de pêcheur : prendre du plaisir au bord de l’eau et quelques poissons pour agrémenter ce plaisir.

Reste à présent à déterminer le meilleur amorçage possible, dans sa forme et sa composition, pour compléter cette première approche. Mais ça, nous le verrons dans un prochaine article! ; )

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